jeudi 19 janvier 2012

QUI A EMPOISONNÉ NERUDA ? ET QUI NE VOUDRAIT PAS LE SAVOIR ?

PABLO NERUDA 1971 À PARIS
PHOTO DE HENRI CARTIER-BRESSON 
La loi du silence, ou la force de la version officielle


Depuis que des soupçons pèsent sur les circonstances de la mort de Pablo Neruda, le Parti communiste chilien a réclamé l'exhumation du corps, en vue d'analyse. L'enquête est de toute manière ouverte et l'avocat du PC, Eduardo Contreras estimait en effet que « ces conjectures et témoignages obligent à déposer une plainte, d'un point de vue éthique, moral et juridique ».
 

Nous y sommes donc. Manuel Araya, assistant du poète, a eu beau se faire traiter de chauffeur, dans une vaine tentative pour le décrédibiliser, il n'en a pas moins fait voler en éclat les certitudes du Chili. « Pablo Neruda disposait d'une grande influence dans le monde. Il voulait appeler les intellectuels et les présidents du monde à l'aider dans sa volonté de restaurer la démocratie dans le monde. »

Si les soupçons ont perduré durant des dizaines d'années, c'est désormais un assassinat par empoisonnement que l'on soupçonne, alors que le poète s'apprêtait à fuir le pays. En 24 heures, le Chili était passé sous la gouvernance d'Augusto Pinochet, et 12 jours plus tôt, c'est Salvador Allende qui passait l'arme à gauche.

Le juge d'instruction en charge de l'affaire n'a pas encore statué sur la demande d'exhumation. La veuve de l'écrivain, et la fondation qui porte son nom réfutent d'ailleurs la théorie d'un meurtre. Et quarante ans plus tard, difficile de savoir si un médecin a bien administré une dose mortelle au patient qu'il était censé soigner.

La coïncidence est troublante, explique l'ancien assistant, Manuel Araya : Neruda se plaint de douleurs, on vient lui administrer une dose d'analgésique - du Dipirona - qui finit par le tuer..? De quoi agrémenter la théorie du complot qui plane, évidemment, et agiter plus encore les doutes sur le gouvernement Pinochet, qui avait tout intérêt à se débarrasser de l'auteur.

Pour le docteur Sergio Draper, à l'origine de la décision, il est honteux qu'après toutes ces années on le mette en accusation. « Je n'ai rien été de plus qu'un messager. Il est scandaleux que nous soyons encore constamment soupçonnés. »

D'autant plus qu'après tout ce temps, trouver des traces de produits toxiques encore présentes dans un corps qui doit approche de la décomposition, relève de la gageure médicale. « C'est une chose de détecter une substance. Une autre de montrer qu'elle existe en quantité suffisante pour entraîner la mort. Il est difficile de déterminer si une certaine quantité a été mortelle ou thérapeutique », explique à l'AP le docteur Luis Ravanal, expert en médecine légale.

Dans tous les cas, les uns et les autres semblent s'accorder : Neruda n'est pas mort d'un cancer, comme l'histoire réécrite par le dictateur a voulu le faire croire. Au moment de son décès, le poète pesait encore 100 kg, et bien qu'ayant maigri, du fait d'une mauvaise nutrition, il était encore un homme résistant et solide - en dépit de ses 69 ans.

Chose étonnante, la fondation aujourd'hui souhaiterait plutôt que l'on n'insiste pas trop sur cette époque, ces circonstances, et que l'on ne tente pas de démêler le vrai du faux. Pour eux Manuel Araya, par qui les soupçons ont commencé, n'était après tout que son chauffeur - argument déjà déployé pour tenter de le confiner à un rôle mineur dans toute cette quête de la vérité.

Et la Fondation de confirmer que Neruda, selon elle, est bien mort de causes naturelles.

Une attitude étrange, voire incompréhensible...

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