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COUVERTURE LA ROSE DÉTACHÉE
ET AUTRES POÈMESLORSQUE Pablo Neruda mourut, le 23 septembre 1973, dans sa maison de Santiago-du-Chili que venaient de saccager les rebelles du général Pinochet, il travaillait à un ensemble de poèmes qui comportait alors huit livres. Sa veuve, Mathilde, sauva les manuscrits, qui furent publiés à Buenos-Aires, chez Losada, de novembre 1973 à juillet 1974. Ces poèmes paraissent aujourd'hui en France dans une impeccable traduction due à Claude Couffon. La Rose détachée rassemble et rameute, reprend et creuse tout ce qui fit le lyrisme de Neruda : les grandes choses s'y mélangent aux petites ; les aveux y rejoignent la mythologie ; le sentiment de l'éphémère s'y conjugue avec celui de la permanence. Des textes, nés dans la maison de l'île Noire au Chili ou dans la résidence de Condé-sur-Iton en Normandie, disent la fragilité de la saveur du monde.
Puis la poésie de Neruda bascule, labourée, travaillée par les souvenirs : nous sommes dans le Moscou de jadis, au temps de l'exil, - et nous revenons à l'île Noire, à l'époque de Salvador Allende. La fidélité et la détermination, la méditation et les risques courus, voilà Pablo Neruda.
Pour comprendre et saisir la nature de ce lyrisme - dont on a dit, à juste titre, qu'il était universel - il importe de ne pas séparer le haut langage de Chant général, par exemple, de l'humilité narquoise des Odes élémentaires ; il faut observer que Neruda conciliait l'amour du passé et l'espérance dans l'avenir. Il parlait souvent, et dans ce livre même, de " retour ", de " revenir ", ce qui ne l'empêchait pas de souhaiter la transformation de la société, de vouloir le cours des métamorphoses.
La poésie est prophétie, non parce qu'elle dit ce qui va advenir, mais parce qu'elle exige que quelque chose advienne. La dimension hugolienne de Pablo Neruda est là ! Elle est aussi dans ce mélange perpétuel de l'intime et de l'épique. Dans le premier livre de la Rose détachée, le poète interroge les statues de l'île de Pâques :
Cette œuvre lut modelée par les mains du vent, les gants du ciel, la turbulence bleue...
Et de Polynésie (Poivre répandu / à la surface de la mer) nous sommes rejetés parmi ce que le poète nomme ses Défauts choisis, parmi les erreurs qu'il a commises, les faiblesses qu'il a éprouvées. Serait-on homme sans le droit aux contradictions que revendiquait Baudelaire ? Et serait-on poète si l'aveuglement ne jouait pas, ici ou là, sa partie ?
Je ne suis pas, je ne suis pas de braise ardente, / je suis fait de linge et de rhumatisme, / de papiers déchirés, de rendez-vous manques, / de modestes signes rupestres / sur ce qui fut pierres d'orgueil...
Sur tout cela, amoncellement de pierres et de mots, océan verbal traversé par des bourrasques, domine l'amour. Car Pablo Neruda fut, en notre siècle, l'un des tout premiers poètes de l'amour. La dernière incarnation de cet amour, la plus belle, ce fut Mathilde, et c'est vers Mathilde que la Rose détachée, ce recueil posthume, est entièrement tendu :
Il fut si beau de vivre quand tu vivais !
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