vendredi 13 mars 2009

FRANCE FLEURIE REVIENT !

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]


CHARLES D'ORLÉANS REÇOIT L'HOMMAGE D'UN VASSAL
F
rance, jadis on te soulait (*) nommer
En tous pays, le trésor de noblesse
Par un chacun pouvoit en toi trouver
Bonté, bonheur, loyauté, gentillesse,
Clergie, sens, courtoisie, proesse.
Tous estrangiers amoient te suir (**).
Et maintenant voy dont j'ay desplaisance
.

(*) Avait l'habitude

(**) Suivre

Cest ce poème de Charles d'Orléans que Neruda choisit pour introduire ses poèmes consacrés à la France dans son livre Las uvas y el viento, (Les grappes et le vent) publié en 1954.

Inséré comme intertexte en français, Neruda garde l'orthographe d’origine de l'ancien français. Neruda lui donne le titre de «France fleurie revient», le titre original du poème étant «La Complainte de France».

La proximité et la complicité de Neruda avec la culture française sont connues. Mais pourquoi inclut-il en particulier ce poème et cet auteur dans son œuvre ? Sûrement pas par érudition.

Une explication peut se trouver dans les vers de son poème «Y sin embargo» («Et cependant») où il se plaint de son expulsion de France pour cause de Guerre Froide. Neruda est, en effet, expulsé de France en août 1952.

En 1949, Neruda était entré en France avec l'identité et le passeport de son ami Miguel Angel Asturias, le grand écrivain guatémaltèque qui obtiendrait le Prix Nobel de littérature en 1967. Le poète avait entrepris le chemin de l'exil, après avoir dénoncé la trahison du président Gabriel González Videla, dans son discours « J'accuse…! » (***) au Sénat chilien.

Pendant ces années-là, le sénateur Neruda - dépossédé de son immunité parlementaire- développait une intense activité politique, diplomatique et littéraire en Europe et en Asie. Il milite dans le Mouvement pour la paix, ainsi que dans la solidarité avec ses camarades prisonniers et poursuivis au Chili.

Il faut se souvenir du contexte international de l’époque : le monde vivait les débuts de la guerre froide et on se trouvait au milieu des guerres coloniales d’Afrique et d'Indochine.

Les ambassades chiliennes en France et en Italie demandaient avec insistance l'expulsion de Neruda. La demande provenait du Président chilien lui-même.

En 1952, l'ordre d'arrestation contre Neruda est révoqué au Chili. Après trois ans et quelques mois d’exil, Neruda rentre à Santiago le 12 août où de grands hommages de bienvenue lui sont rendus.

Avant d’embarquer pour le Chili, Neruda se réunit avec quelques amis venus lui dire au revoir dans un restaurant à Cannes. Pablo Picasso et sa femme Françoise Guillot (mère de Paloma), Paul Eluard et sa femme Dominique, Inés et Carmen Figueroa, le mari de cette dernière, Philip Meyer, et Paul Picasso (fils du peintre et d’Olga Kokhlova) étaient au rendez vous.

Au moment d'embarquer, Neruda fut convoqué par haut-parleur par la police du Port à Cannes. On l’informait officiellement que le gouvernement français le considérait Persona non grata et qu'il était désormais interdit de séjour en territoire Français, même en transit.

Les détails de cette expulsion ont été livrés par l’architecte et cinéaste Alberto Mántaras Montegna à son ami José Miguel Varas, qui les révéla lui-même dans son livre Tal vez nunca. Cronicas Nerudianas (Peut-être jamais. Chroniques nérudiennes.) Editorial Universitaria, 2008. Alberto Mántaras avait, en effet, pris le même bateau que Neruda.

C’est là qu’intervient la référence à Charles d’Orléans dans le poème «Sin embargo» :

ils m'expulsèrent
de presque toutes les choses que j'aime,
et à rien ne servit que je sirvasse
la mémoire de Charles d' 0rléans, en nettoyant
chaque jour sa guitare de deuil,

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
Charles d'Orléans prisonnier dans la Tour de Londres

Rappelons que Charles d'Orléans est né à Paris en 1394 et mort à Amboise en 1465. Méconnu du grand public, il a écrit une des œuvres poétiques les plus importantes du moyen âge français. Son poème «La Complainte de France» est un chant patriotique, composé pendant la longue captivité anglaise de l’auteur. Le poète souhaitait évoquer avec douleur les plaies de la patrie et l'éloignement des siens.

À travers l’intertexte, Neruda s’associe à Charles d’Orléans pour parler de l’exil, leur douloureuse expérience commune. Mais Neruda choisit un extrait précis qui pourrait être interprété comme une critique de cette France qui l’expulse, en rupture avec sa tradition de terre d’accueil.

Les valeurs et les vertus ancestrales, le glorieux passé de la France, sont d’un autre temps. La situation de détresse morale dans laquelle se trouve le pays est due, selon le poète, à un châtiment divin, en raison des péchés capitaux dont le « Très chrétien, franc royaume de France » est coupable.

De plus, dans l’extrait ci-dessus, Neruda revendique son lien profond avec la culture française en citant notamment Charles d’Orléans, mais aussi, Rimbaud et Rabelais. Mais la référence à Charles d’Orléans est d’autant plus intéressante qu’il s’agit d’un poète mal connu du peuple français, et qui renvoie à l’histoire de la littérature française d’il y a plus de 5 siècles. Neruda lit, cite et se reconnaît dans un auteur oublié par les propres français.
M.C.


(***) Paraphrase du titre de l’article rédigé par Émile Zola lors de l'affaire Dreyfus, publié dans le journal L'Aurore du 13 janvier 1898
C’est ce poème de Charles d'Orléans que Neruda choisit pour introduire ses poèmes consacrés à la France dans son livre Las uvas y el viento, (Les grappes et le vent) publié en 1954.

 

Aucun commentaire: