lundi 27 mai 2013

ENTRÉE DANS LE BOIS

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CE SCARABÉE COLORÉ (BRACHYSTERNUS PRASINUS)  VIT 
DANS DES HABITATS FORESTIERS  DU SUD DU CHILI. 
PHOTO GERHARD HÜDEPOH




Avec ma raison en berne, avec mes doigts,
avec de lentes eaux lentement inondées,
je tombe dans l'empire des myosotis,
dans une tenace atmosphère de deuil,
dans une salle oubliée et déchue,
dans une grappe de trèfles amers. 

Je tombe dans l'ombre, au milieu
de choses détruites,
et je regarde des araignées et je nourris des forêts 
aux secrets bois en devenir,
et je m’enfonce entre les fibres humides arrachées
dans l'être vivant de substance et de silence. 

Douce matière, ô rose aux ailes sèches,
dans ma descente je gravis tes pétales
avec des pieds lourds de rouge fatigue,
et dans ta dure cathédrale, je m’agenouille
et me frappe les lèvres avec un ange. 

Est-ce bien moi face à ta couleur de monde,
face à tes pâles épées mortes,
face à tes cœurs rassemblés,
face à ta silencieuse multitude. 

C’est moi qui meurs, 
face à ta vague d'odeurs
enveloppées d'automne et de résistance :
c’est moi qui part pour un voyage funéraire
entre tes jaunes cicatrices :
c’est moi avec mes plaintes sans origine,
sans aliments, tourmenté, seul,
pénétrant des corridors obscurcis,
atteignant ta matière mystérieuse. 

Je vois couler tes courants asséchés,
je vois croître des mains interrompues,
j'entends tes végétaux océaniques
crisser de nuit et de fureur secoués,
vers l'intérieur je sens mourir des feuilles,
qui incorporent de verts matériaux 
à ton immobilité déserte. 

Pores, veines, cercles de douceur,
poids, température silencieuse,
flèches collées à ton âme déchue,
êtres endormis dans ta bouche épaisse,
poussière de douce pulpe consumée,
cendre remplie d'âmes éteintes,
venez à moi, à mon rêve sans mesure,
tombez dans mon alcôve où la nuit se répand
et tombe sans fin comme une eau brisée,
et à votre vie, à votre mort agrippez-moi,
à vos matériaux soumis,
à vos fades colombes mortes,
et faisons feu, et silence, et son,
et flambons, et taisons-nous, et carillon.


Traduction de Bernardo Toro.

Pablo Neruda, « Entrada a la madera » dans ( Residencia en la tierra ),  De «Crepusculario » a « Las uvas y el viento », 1923-1954, (Obras completas, tomo I) page 324:325  Edición de Hernán Loyola. Galaxia Gutemberg, Barcelona, 1999.  

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