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«FAUCILLE, CARTOUCHIÈRE ET ÉPI», 1927, COLLECTION ET ARCHIVES DE LA FONDATION TELEVISA, MEXIQUE |
Les photographies révolutionnaires de Tina Modotti s’exposent au Jeu de Paume / Ce mardi 13 février débute l’exposition Tina Modotti : l’œil de la révolution au Jeu de Paume, à Paris. Une rétrospective de la photographe inédite en France, la première depuis près de 25 ans, qui permet de (re)découvrir son œuvre pionnière.
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TINA MODOTTI, VERS 1927, PHOTO ABEL PLENN |
À peu de choses près, le parcours de Tina Modotti ressemble à celui de nombreuses femmes artistes, qui débutent en muses avant de s’émanciper pour épouser leurs pulsions créatives. D’origine italienne, elle arrive aux États-Unis à l’âge de 16 ans avec son père. Très tôt, elle développe un intérêt pour les arts dramatiques. Elle débute sa carrière en tant que comédienne dans plusieurs films muets, où elle accumule les rôles de femmes fatales. Mais c’est la photographie qui s’impose petit à petit dans sa vie comme une passion majeure, notamment inspirée par son oncle, Pietro Modotti, qui dirigeait alors un studio en Italie. Mais c’est la rencontre avec le photographe américain Edward Weston qui marque un tournant dans la vie de Tina Modotti. Elle commence par poser pour lui, avant de devenir son amante, puis son apprentie.
«FEMME DE TEHUANTEPEC», (PORTANT JICALPEXTLE), 1929 THROCKMORTON FINE ART, NEW YORK |
Ce 13 février 2024, le Jeu de Paume inaugure Tina Modotti : l’œil de la révolution. Une rétrospective inédite consacrée à la photographe, dont le nom a été gommé de l’histoire de l’art. Son œuvre, forte de quelque 400 photographies, ne cesse de s’épaissir à mesure que les découvertes s’amoncellent. À cette occasion, Vogue revient sur la carrière de la pionnière, dont l’œuvre a largement influencé la photographie mexicaine, de Manuel Álvarez Bravo à Graciela Iturbide.
HOMMES LISANT « EL MACHETE », VERS 1927 COLLECTION ET ARCHIVES DE LA FONDATION TELVISA, MEXIQUE |
Tina Modotti : un début de carrière devant l’objectif
L’œuvre de Tina Modotti est impressionnante en ce qu’elle témoigne de certains des plus grands bouleversements du XXème siècle, de la renaissance du muralisme mexicain à l’apparition des femmes dans l’espace public, en passant par la guerre d’Espagne ou la lutte entre stalinistes et trotskistes. C’est en tout cas ce que rappelle la commissaire et critique d’art Isabel Tejeda Martín, qui a imaginé l'exposition, lors d'une visite organisée pour la presse.
«FEMME AU DRAPEAU», 1927 THE MUSEUM OF MODERN ART, NEW YORK |
Née à Udine (Italie) en 1896, Tina Modotti est la fille d’une mère couturière et d’un père mécanicien. Ayant grandi dans une famille modeste, elle se trouve contrainte de travailler dans une usine dès l’âge de 10 ans – une expérience qui conditionne toute sa pensée politique en devenir. À l'âge de 16 ans elle traverse l’océan atlantique pour rejoindre son père à San Francisco. Là, elle développe un goût prononcé pour la vie culturelle. Elle commence par travailler dans un atelier de couture avant de se voir introduite aux cercles artistiques californiens grâce au poète Roubaix de l’Abrie Richey, dit “Robo”, son compagnon à l'époque. Petit à petit, elle cumule plusieurs professions, dont actrice de films muets d’Hollywood (elle joue souvent les femmes mexicaines exotisées), poètesse ou mannequin, notamment en posant pour le photographe Edward Weston.
Au Mexique, la muse s’émancipe
C’est en 1922 que Tina Modotti pose pour la première fois ses valises au Mexique, sans vraiment savoir, alors, que ce voyage va changer sa vie. Elle est sur place pour organiser les funérailles de Robo Richey, décédé de la variole en février. Fascinée par le pays, elle parvient à convaincre Edward Weston, son amant, non seulement de venir y vivre avec elle, mais surtout d’y installer son studio, dont elle promet de s’occuper, s’il consent à lui apprendre l’art de la photographie.
“Ce qui m'a frappé dans mes recherches, précise la commissaire de l’exposition Isabel Tejeda Martín, c'est qu'elle était quasiment absente de l'histoire de la photographie. Les seules fois où elle apparaissait, c'était soit comme modèle de Weston, soit comme partenaire amoureuse occasionnelle. J'ai donc souhaité donner à l'exposition un caractère didactique en montrant quelles sont les photographies de Weston et quelles sont les photographies réalisées par Tina Modotti. Je les ai mises côte à côte, pour signaler leurs différences”. Le constat est particulièrement saisissant face à des portraits de Luz Jiménez (une promotrice du nahuatl, un dialecte mexicain) : les photographies d’Edward Weston révèle un formalisme étonnant, soucieux des lumières, des textures et des angles. Luz Jiménez y apparaît le regard bas, comme soumis. Dans les yeux de Tina Modotti, elle est photographiée après son accouchement, avec son bébé. Elle ne pose plus, et semble capturée dans un moment pris sur le vif. Comme les premières marques d’une émancipation douce, mais affirmée, de la part de la jeune photographe.
La photographie empathique
Chez Tina Modotti, l’apprentissage de la photographie va de pair avec l’éveil d’une forte conscience politique, influencée par les mouvements sociaux qui agitent le Mexique dans les années 1920. Un engagement qui indique, selon Isabel Tejeda Martín, l'effacement de son nom dans la mémoire collective : “Mais on peut également l’expliquer car elle était une femme, et qu’on sait qu’elles ont presque systématiquement été gommées de l’histoire de l’art. Et puis, elle était photographe ! Une discipline qui elle aussi, a mis beaucoup de temps à entrer dans l’histoire de l’art”.
Dès 1924, Tina Modotti développe un œil complètement neuf, bien éloigné de tout ce qu’a pu lui enseigner son maître Weston. “Je qualifie ce regard d’incarné, glisse Isabel Tejeda Martín. Mais j’aime aussi citer l'une des premières personnes qui l'a découverte, le photographe et auteur Riccardo Toffoletti, qui parle lui de regard empathique”. Il ne faut pas l’oublier : Tina Modotti a été contrainte de travailler à l’âge de 10 ans. Issue d’un milieu modeste, elle se retrouve dans les sujets qu’elle photographie, des gens qui travaillent la terre, mais à qui la terre n’appartient pas. En outre, lors d’un voyage à San Francisco en 1926, alors qu’elle rend visite à sa mère malade, Tina Modotti croise une collègue, la photographe Consuelo Kanaga, qui lui conseille de changer d’appareil photo. En effet, son Corona est bien encombrant et ne lui permet pas de saisir la vie mexicaine sur le vif. Modotti se met alors en quête, et achète un Graflex, de plus petite taille, pour ainsi pouvoir poursuivre son travail dans la rue. Un an plus tard, elle adhère au Parti communiste mexicain, unissant un peu plus ses vies politiques et artistiques, jusqu’à ce qu’elles ne fassent qu’un.
Tina Modotti : l’œil de la révolution, au Jeu de Paume (Paris), du 13 février au 12 mai 2024.
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