jeudi 11 janvier 2024

GABRIELA MISTRAL, LA DÉFUNTE POÉTESSE CHILIENNE ÉRIGÉE EN ICÔNE PAR LA JEUNESSE FÉMINISTE

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TAG DE PABLO NERUDA ET GABRIELA MISTRAL
PHOTO FRÉDÉRIC SOLTAN

Aujourd’hui dans "Le Book Club" on prend la direction de l’Amérique Latine et on s’arrête au Chili, ce très long pays coincé entre l’Océan Pacifique et la Cordillère des Andes en compagnie de la correspondante de Radio France Naïla Derroisné. / Quand on parle de littérature et du Chili, on pense peut-être au célèbre poète et diplomate chilien Pablo Neruda qui a reçu le Prix Nobel de littérature en 1971. Mais saviez-vous qu’une autre personne au Chili l’avait également reçu, 26 ans avant lui ? Il s’agit de l’écrivaine, enseignante et diplomate Gabriela Mistral. Elle est la première femme latino-américaine à qui l’on a décerné ce prix, c’était en 1945. Gabriela Mistral est morte il y a 67 ans, mais c’est seulement depuis quelques années qu’elle s’est convertie en une icône, notamment pour le mouvement féministe chilien et la communauté LGBTQ+, volant la vedette à son homologue masculin.

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 «Gabriela Mistral, la défunte poétesse chilienne érigée en icône par la jeunesse féministe»

Provenant du podcast Le Book Club
diffusé le Jeudi 11 janvier 2024

Avec Naïla Derroisné Journaliste 

De l’icône nationale…

GABRIELA MISTRAL
ILLUSTRATION FAB CIRAOLO

Eh bien, Gabriela Mistral, de son vrai nom Lucila Godoy Alcayaga, est l’une des grandes plumes de la poésie chilienne, et c’est aussi la première latino-américaine à recevoir le Prix Nobel de littérature. Elle est donc en quelque sorte un emblème national, même si le Chili a mis du temps à reconnaitre son talent. Elle a, par exemple, d’abord reçu le Nobel avant de recevoir le Prix National de Littérature dans son propre pays. Par la suite, on la retrouve partout. On enseigne ses poèmes à l’école, son visage figure sur les billets de 5 000 pesos. Des rues, des places, des établissements scolaires, et même une entreprise de pisco - la liqueur nationale - portent son nom. Mais ce n’est que depuis dizaine d’années environ que Gabriela Mistral réapparait dans le champ littéraire et l’imaginaire collectif sous une autre forme.

POÈME DU JOUR AVEC LA COMÉDIE-FRANÇAISE, FRANCE CULTURE, LE  08.03.2013,  
« ABSENCE» LU PAR SYLVIA BERGÉ, 
DURÉE : 00:01:45 


… À l’icône féministe

En fait, on redécouvre depuis peu la vraie Gabriela Mistral : engagée politiquement, une personne avec des vices, comme tout le monde, mais aussi possiblement non-binaire, c’est-à-dire quelqu’un qui ne sent ni homme ni femme, et peut-être même qu’elle était lesbienne, en tout cas, elle ne s’est jamais mariée et n’entre pas dans les codes hétéronormés.

Eh bien, toutes ses facettes ont été gommées au moment de la dictature de Pinochet dans les années 70-80, pour ne garder qu’une image très lisse de Gabriela Mistral. Ses poèmes ont été manipulés pour ne conserver que les parties les plus "naïves", et "tendres", alors qu’en réalité, il s’agissait de critiques très aigües de la société. Gabriela Mistral avait aussi une vision assez progressiste, notamment en ce qui concerne les droits des femmes. Finalement, la dictature lui a collé l’étiquette de la "bonne femme maternelle" c’est-à-dire la maitresse d’école, la femme altruiste dont la principale préoccupation était de s’occuper des enfants. Mais cette image est loin de la réalité.

Il y a une dizaine d’années, ont commencé à émerger des textes encore inconnus du public : des poèmes, des essais, des lettres qu’elle envoyait à des femmes, des centaines de pages de notes. Gabriela Mistral a beaucoup écrit tout au long de sa vie et sur plein de sujets. Son œuvre est extrêmement prolifique et les maisons d’édition ont alors commencé à éditer ou rééditer ses écrits. Tout ça s’est télescopé avec le mouvement féministe qui au même moment a pris de l’ampleur au Chili, de la fin des années 2000, et tout au long de la décennie 2010, jusqu’à aujourd’hui. La nouvelle génération de lectrices et de chercheuses se réapproprient désormais une autre Gabriela Mistral, plus authentique et plus réelle, avec ses failles, ses doutes et ses désirs. Je vous propose d’écouter June Garcia Ardiles, elle a la trentaine, elle est écrivaine, journaliste et féministe :

"Le mouvement féministe revalorise la figure de Mistral. Mais il y a aussi un besoin de trouver des symboles. Et l’un des symboles, c'est justement cette Gabriela Mistral moderne. Car cette femme n’est finalement pas celle qu’ils ont voulu nous faire croire. Il y a tout un monde qu’on commence tout juste à découvrir et on va continuer d’en découvrir davantage."

DELIA DEL CARRIL, PABLO NERUDA ET GABRIELA MISTRAL EN 1951
 PHOTO COLORISÉE PAR NOS SOINS
 

Une féministe qui refusait cette dénomination

Dans notre époque contemporaine, Gabriela Mistral est donc clairement féministe, car les valeurs qu’elle défendait sont les mêmes revendiquées aujourd’hui par les féministes chiliennes : l’importance de l’éducation, l’égalité femme-homme ou encore la défense des marginaux et des peuples autochtones. Mais elle a toujours refusé de se dénommer comme tel, car à l’époque, le combat féministe était porté par les femmes de l’élite sociale. Et Gabriela Mistral, elle est issue de la classe pauvre, du monde rural et ne s’identifiait pas au mouvement féministe d’alors. Elle doit sa trajectoire professionnelle aux femmes qui l’ont entourée quand elle était petite et qui savaient lire.

C’est donc aussi cette image à la fois populaire et singulière qui trouve un écho aujourd’hui au Chili et particulièrement en 2019, au moment de la crise sociale - où les femmes étaient d’ailleurs très mobilisées - Gabriela Mistral a été brandie comme un symbole antisystème, prônant plus d’égalité et de justice. Elle a été taguée sur les murs de la capitale, arborant un look moderne avec un foulard vert autour du cou, c’est le symbole du droit à l’avortement ici en Amérique Latine. On a même pu lire des inscriptions comme : "- de Pablo Neruda, + de Gabriela Mistral". Une manière aussi de revendiquer l’héritage littéraire des écrivaines chiliennes, beaucoup moins répandu que celui des écrivains masculins.

Bibliographie

Les Éditions Unes notamment ont fait paraitre deux recueils de poèmes : Pressoir et Essart. Et les éditions Caractères ont publié une anthologie de poésie et prose De désolation en tendresse.



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