mercredi 15 février 2023

CHILI. ENFIN LA VÉRITÉ SUR LA MORT DE PABLO NERUDA ?

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LEEMAGE via AFP
PHOTO COLORISÉE PAR ARAUCARIA

ACTU / Chili. Enfin la vérité sur la mort de Pablo Neruda ? / Le troisième panel d’experts doit rendre ses conclusions ce 15 février sur les circonstances du décès du poète. Sa famille confirme la présence d’un bacille meurtrier, accréditant la thèse de l’empoisonnement par les sbires de Pinochet.
PABLO NERUDA À ISLA NEGRA,
AU CHILI 1972

PHOTO BRIDGEMAN


À propos de son Chant général, Pablo Neruda avait l’habitude de dire qu’il n’y a pas « de matériel antipoétique lorsqu’il s’agit de nos réalités ». « Les faits les plus obscurs de nos peuples doivent être brandis en pleine lumière », ajoutait-il lors de la sortie de ce qui se révéla l’un de ses plus grands gestes lyriques. 



PABLO NERUDA À ISLA NEGRA,
AU CHILI 1972
PHOTO BRIDGEMAN
Cinquante ans après son décès, la lumière pourrait bientôt surgir de sa dépouille. Celle qui permettrait d’éclairer les circonstances de sa mort, le 23 septembre 1973, douze jours après le coup d’État au Chili contre Salvador Allende. Ce 13 février, la famille du poète a révélé une partie des résultats de l’étude menée par le troisième panel de scientifiques du centre d’ADN ancien de l’université McMaster (Canada) et du département de médecine légale de l’université de Copenhague (Danemark), dont les conclusions devraient être rendues aujourd’hui. Des traces de la bactérie Clostridium botulinum ont été retrouvées dans ses os, favorisant la thèse de l’empoisonnement par les sbires du général Augusto Pinochet. « Il ne fait aucun doute que Neruda a été tué ! » tranche le neveu du prix Nobel, Rodolfo Reyes.

Officiellement, le certificat rédigé par la junte mentionne un décès des suites d’un cancer de la prostate. Les experts qui, mis sous pression, ont déjà repoussé plusieurs fois la publication de leur rapport, sont pourtant formels : le bacille en cause, généralement présent dans le sol, n’a pas pénétré le cercueil mais était déjà présent dans le corps du poète avant qu’il ne rende son dernier souffle. « La balle mortelle de Neruda a été retrouvée, celle qu’il avait dans son corps. Qui a tiré ? Cela se saura bientôt », appuie Rodolfo Reves.

PABLO NERUDA À ISLA NEGRA,
AU CHILI 1972

PHOTO BRIDGEMAN

Après une longue bataille judiciaire, la dépouille de Pablo Neruda avait été exhumée en 2013. Son chauffeur et garde du corps, Manuel Araya, a toujours eu l’intime conviction de l’assassinat de celui qui fut également diplomate. « Nous, nous craignions pour sa vie car on le savait en danger. L’ambassadeur du Mexique voulait le faire sortir du pays », livrait-il à l’Humanité en 2013. Dix jours avant son décès, un bateau militaire se poste devant la demeure de Neruda à Isla Negra, avant d’accoster et de demander combien de personnes sont employées par l’écrivain. Il reviendra à plusieurs reprises. « Pablo Neruda était un symbole à abattre. Il fut sénateur, candidat à la présidence, prix Nobel, communiste. Il était connu, reconnu et apprécié du peuple », témoigne Manuel Araya.

Des bactéries utilisées par le biochimiste de la police secrète de pinochet

PABLO NERUDA À ISLA NEGRA, AU CHILI 1972
PHOTO BRIDGEMAN

Le 22 septembre 1973, le garde du corps se rend avec Matilde, l’épouse de Neruda, dans leur demeure pour rassembler quelques affaires. L’après-midi même, on les informe qu’une injection a été pratiquée à la clinique Santa Maria à Santiago où le poète est hospitalisé. « Lorsque nous revenons à la clinique, Neruda est rouge, il me dit que tout son corps le brûle », confie-t-il. En quittant le centre médical, deux véhicules attendent Manuel Araya, qui échoue au commissariat. La suite des événements ne laisse d’interroger. Sergio Draper, le médecin qui a pratiqué l’injection, assure que Neruda est mort dans ses bras. Une version qu’il dément lors de son témoignage : il explique subitement ne pas avoir été présent à la clinique au moment du décès.

PABLO NERUDA À ISLA NEGRA,
AU CHILI 1972

PHOTO BRIDGEMAN

À force d’obstination, Manuel Araya parvient, en 2011, à convaincre le Parti communiste du Chili (PCCh) de déposer une plainte criminelle aux fins d’exhumation. Une série d’analyses est depuis menée, sans conclusion convaincante. En 2014, des experts espagnols relèvent la présence massive de staphylocoque doré sur le corps de Neruda. Des éléments confondants. Ces bactéries sont précisément celles utilisées par Eugenio Berrios, le biochimiste de la police politique et secrète de Pinochet, la Dina. À l’époque, son laboratoire concourt à l’élimination discrète des opposants. Le scientifique a ainsi permis de produire drogues, poisons et microbes capables d’abuser les médecins légistes. L’alliance des dictatures militaires sud-américaines, déterminée à liquider leurs ennemis, loue également son génie et le charge de développer des produits neurotoxiques tel le gaz sarin testé sur des prisonniers politiques.

CERCUEIL DE
PABLO NERUDA

PHOTO FINA TORRES
  COLORISÉE ARAUCARIA

Après la découverte de Clostridium botulinum dans des échantillons d’ADN de la dent de Neruda, en 2017, le deuxième panel d’experts exclut déjà que le décès soit lié au cancer. Ils ne peuvent à l’époque confirmer la manière dont le bacille s’est logé là. Si elle n’est pas édulcorée, leur conclusion, rendue ce jour, pourrait permettre de confirmer que Manuel Araya avait raison depuis le début. Un pas de plus vers la vérité. « La haine est un poisson-épée/elle se meut dans l’eau invisible/et on la voit venir alors/et elle a du sang sur le couteau/la transparence la désarme », écrivait le poète. Pablo Neruda et les 3 200 morts de la dictature, présents !

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