mercredi 20 septembre 2023

« RÉSIDER SUR LA TERRE » , UN TRÈS BEL ENSEMBLE D’ŒUVRES DE PABLO NERUDA

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PHOTO FUNDACIÓN PABLO NERUDA 

“Résider sur la Terre”, un très bel ensemble d’œuvres de Pablo Neruda/ Pablo Neruda À travers ses poèmes, il embrassait des siècles d’histoire de l’Amérique latine, sa splendeur, ses larmes. Tout en rendant hommage aux pêcheurs, potiers, prostituées, mendiants…

Par Gilles Heuré

COUVERTURE
RÉSIDER SUR LA TERRE

Ce superbe volume de la collection Quarto, qui réunit un ensemble de poèmes de Pablo Neruda (1904-1973), donne toute la mesure de l’écrivain chilien, mort il y a tout juste cinquante ans, le 23 septembre. Un poète, fils d’un cheminot et d’une institutrice, qui fut diplomate au Mexique, en Espagne, en France et en Malaisie, sénateur communiste dans son pays, Prix Nobel de littérature en 1971, et constamment ouvert au monde. « J’ai toujours voulu que dans la poésie on voie les mains de l’homme, confiait-il en 1966. J’ai toujours désiré une poésie qui montre ses empreintes digitales. Une poésie d’argile, pour que l’eau y chante. Une poésie de pain, pour que tous la mangent. »

« L’Homme invisible » (1954), il se gausse de ces poètes qui disent toujours « moi » sans évoquer ceux qui les entourent : « Je ne peux pas vivre sans la vie, être l’homme sans l’homme et je cours et vois et entends et chante… Donnez-moi pour ma vie toutes les vies, donnez-moi toute la douleur de tout le monde, je vais la transformer en espoir. » Et dans « Ode à la poésie », il somme cette dernière d’« unir son pas au pas des hommes ».

Hommes et femmes sont en effet partout dans ses textes, leur insufflant une énergie militante qui embrasse les siècles de l’Amérique latine. Il dénonce les conquistadors espagnols qui exterminèrent habitants et cultures, ces soldats « écorcheurs » qui firent descendre la nuit sur le Pérou, « comme une braise noire ». Il fustige la mainmise des groupes industriels étrangers sur la population et les richesses : comme la Standard Oil, « avec ses conseillers et ses bottes, avec ses chèques et ses fusils, ses régimes et ses prisonniers ».

« Il faut écouter les poètes. C’est une des leçons de l’Histoire. »

Ses poèmes rendent hommage à tous ceux dont l’existence est broyée : pêcheurs, potiers, charpentiers, filles prostituées tombées entre les mains des « mercantis », mendiants « noués au mur » des cathédrales (« flore de la rue, errants / Fleurs des légales pestilences »), l’Indien au « visage perdu » à Lima, les mineurs déportés en Patagonie (« dans le froid antarctique ou dans les déserts de Pisagua »), les travailleurs de la mer de Valparaíso et les brodeuses d’Isla Negra… Les animaux — le lama aux « yeux candides sur la délicatesse / du monde couvert de rosée », les perroquets « pareils à des lingots d’or vert », le condor qui « passe comme un vaisseau noir » —, mais aussi les pierres du Chili, les saisons, l’amour, le soutien à l’Espagne antifranquiste, convoquent également sa plume.

« Il faut écouter les poètes. C’est une des leçons de l’Histoire », disait-il en 1968. Il mourra, sans doute empoisonné 1, douze jours après le coup d’État du général Pinochet qui a chassé du pouvoir le président démocratiquement élu Salvador Allende.

Cinquante ans après sa mort, Pablo Neruda (1904-1973), Prix Nobel de littérature en 1971, s’impose encore en mythe monumental, en « témoin ardent » des événements politiques qui ont traversé le siècle : guerre d’Espagne, espoir (puis crise) communiste, lutte contre l’impérialisme nord-américain en Amérique latine, arrivée au pouvoir de Salvador Allende… Chaque fois présent, il a donné à entendre sa voix, tant par sa poésie - le Chant général en particulier - que par ses discours devenus célèbres.

En faisant de Résidence sur la terre le pivot central d’une œuvre foisonnante, cette édition propose de retracer la trajectoire poétique et intellectuelle de ce géant, au-delà de la légende, lui qui a participé aux principales mutations artistiques du XXe siècle - avant-gardiste de la première heure, compagnon de route des poètes espagnols de la Génération de 27 et précurseur de la poésie engagée. Son écriture originelle, d’une expression dense et sensuelle, célébrant la matière, basculera vers une simplicité marquée par une vision plus grave et ironique. À travers sa collaboration avec de nombreux artistes (Sergio Larraín, Antonio Quintana, Federico García Lorca, José Venturelli), qu’on découvrira ici, cette écriture se dote encore d’une autre facette, méconnue, tel un miroir tendu par l’auteur, refl étant sa façon d’habiter le monde, de résider sur la terre.

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